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III

Saint-Just se leva à ces mots. Saint-Just était dès lors comme la pensée de Robespierre, que Robespierre faisait marcher à quelques pas en avant de lui. Ce jeune homme, muet comme un oracle et sententieux comme un axiome, semblait avoir dépouillé toute sensibilité humaine pour personnifier en lui la froide intelligence et l’impitoyable impulsion de la Révolution. Il n’avait ni regards, ni oreilles, ni cœur pour tout ce qui lui paraissait faire obstacle à l’établissement de la république universelle. Rois, trônes, sang, femmes, enfants, peuples, tout ce qui se rencontrait entre ce but et lui disparaissait ou devait disparaître. Sa passion avait, pour ainsi dire, pétrifié ses entrailles. Sa logique avait contracté l’impassibilité d’une géométrie et la brutalité d’une force matérielle. C’était lui qui, dans des conversations intimes et longtemps prolongées dans la nuit sous le toit de Duplay, avait le plus combattu ce qu’il appelait les faiblesses d’âme de Robespierre et sa répugnance à verser le sang du roi. Immobile à la tribune, froid comme une idée, ses longs cheveux blonds tombant des deux côtés sur son cou, sur ses épaules, le calme de la conviction absolue répandu sur ses traits presque féminins, comparé au saint Jean du Messie du peuple par ses admirateurs, la Convention le contemplait avec cette fascination inquiète qu’exercent certains êtres placés aux limites indécises de la