Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 11.djvu/429

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

couvrait dans le cœur. Elle déplorait que tant de vertus eussent brillé si tard et seulement dans l’obscurité d’une prison. Elle se reprochait amèrement, et elle l’avouait à sa sœur, d’avoir laissé trop distraire son âme aux jours de la prospérité, et de n’avoir pas assez senti alors le prix de l’amour du roi.

Ses geôliers eux-mêmes ne reconnaissaient pas, en l’approchant, l’homme sensuel et vulgaire que le préjugé public leur avait dépeint. En voyant un si bon père, un époux si tendre, un frère si compatissant, ils commençaient à ne plus croire qu’un homme pareil eût pu contenir un tyran. Quelques-uns même semblaient l’aimer en le persécutant et le martyriser avec respect. Sa bonhomie apprivoisait les hommes les plus rudes, instruments passifs de sa captivité.

Un jour un factionnaire des faubourgs, vêtu en paysan, était en sentinelle dans l’antichambre de ce prince. Le valet de chambre Cléry s’aperçut que cet homme le contemplait d’un œil de respect et de compassion. Cléry s’avança vers lui. Le factionnaire s’incline, présente les armes, et balbutie d’une voix tremblante et comme à regret : « Vous ne pouvez pas sortir. — Vous me prenez donc pour le roi ? répond Cléry. — Quoi ! reprend l’homme du peuple, vous n’êtes pas le roi ? — Non, sans doute, vous ne l’avez donc jamais vu ? — Hélas, non, et je voudrais bien le voir ailleurs qu’ici. — Parlez bas ! je vais entrer dans sa chambre, je laisserai la porte entr’ouverte, et vous verrez le roi. Il est assis près de la fenêtre un livre à la main. » Cléry avait averti la reine de la bienveillante curiosité de la sentinelle, la reine en parla au roi. Ce prince interrompit sa lecture et se promena complaisamment plusieurs fois d’une cham-