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le signal dans la maison du pauvre lui étaient refusés. Le roi lui-même ne pouvait se livrer impunément à l’appétit de sa forte nature. Des yeux comptaient ses morceaux, des ricanements les lui reprochaient. La robuste santé de l’homme était une honte de plus pour le roi. La reine et les princesses mangeaient peu et lentement, pour laisser au roi le prétexte de satisfaire sa faim et de prolonger le dîner. Après ce repas la famille se réunissait. Le roi jouait avec la reine à ces jeux de cartes inventés jadis en France pour amuser l’oisiveté d’un roi prisonnier. Le plus souvent ils jouaient au jeu rêveur et contemplatif des échecs ; jeu dont les pièces principales, par leurs noms de roi ou de reine, et les manœuvres sur le damier, qui ont pour but de faire le roi prisonnier, étaient pleines d’allusions significatives et souvent sinistres à leur propre captivité. Ils cherchaient moins dans ces jeux une diversion machinale à leurs peines qu’une occasion de s’entretenir à mots couverts sans éveiller l’inquiet espionnage de leurs gardiens. Vers quatre heures, le roi s’endormait quelques moments dans son fauteuil. Les jeunes enfants cessaient, au signe de leur mère, leurs jeux bruyants. Les princesses reprenaient leurs travaux d’aiguille. Le plus profond silence régnait dans la chambre pendant ce sommeil du roi. On n’entendait que le léger froissement des étoffes travaillées par la reine et sa sœur, la respiration du roi et le pas régulier des sentinelles à la porte de l’appartement et au pied de la tour. On eût dit que les persécuteurs et la prison elle-même tout entière se taisaient pour ne pas enlever au roi prisonnier la seule heure qui rendît la liberté à ses pensées et l’illusion des rêves à son âme. À six heures le roi reprenait ses leçons à son fils, et s’amusait avec lui jusqu’au souper. La reine alors dés-