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tion avec laquelle elle avait refusé de toucher aux aliments de son déjeuner, jurant de se laisser mourir de faim si l’on persistait à la séparer du roi, émurent et intimidèrent les municipaux. La responsabilité de la vie de leurs prisonniers pesait sur eux. La commune elle-même leur demanderait compte d’une victime enlevée par une mort volontaire au jugement et à l’échafaud du peuple. La nature aussi parlait dans leur cœur cette langue des larmes qui se fait obéir des plus endurcis. Les princesses, à genoux devant ces hommes, les conjuraient de permettre qu’elles fussent réunies au roi au moins pendant quelques instants du jour et aux heures des repas. Des gestes, des cris du cœur, des larmes tombant des yeux sur le plancher, prêtaient leur toute-puissance à ces supplications. « Eh bien, ils dîneront ensemble aujourd’hui, dit un officier municipal, et demain la commune en décidera. » À ces mots, les cris de douleur des princesses et des enfants se changèrent en cris de joie et de bénédiction. La reine, tenant ses enfants dans ses bras, les précipita à genoux, et s’y précipita avec eux pour remercier le ciel. Les membres de la commune s’entre-regardèrent avec des regards mouillés ; Simon lui-même, s’essuyant les yeux : « Je crois, s’écria-t-il, que ces scélérates de femmes me feraient pleurer ! » Puis se retournant vers la reine, et comme honteux de sa faiblesse : « Vous ne pleuriez pas ainsi, lui dit-il, quand vous faisiez assassiner le peuple au 10 août ! — Ah ! le peuple est bien trompé sur nos sentiments, » répondit la reine.

Ces hommes jouirent un moment du spectacle de leur clémence. Les prisonniers se revirent à l’heure du repas, et sentirent plus que jamais combien le malheur les rendait nécessaires les uns aux autres.