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gardiens et des municipaux surveillaient à vue ces chambres.

La nuit s’écoula, chez la reine et chez les princesses, en chuchotements, en larmes contenues et en présages sinistres échangés à voix basse sur le sort qu’un tel avilissement de leur rang et de leur sexe annonçait aux captives. Les enfants seuls dormirent d’un sommeil paisible et prolongé, comme sous les lambris de Versailles. Le lendemain et les jours suivants, la reine et les princesses eurent la liberté de se voir dans l’appartement du roi, et de se transporter sans obstacle d’un étage à l’autre, dans l’intérieur de la tour. Ils en visitèrent toutes les pièces ; ils y disposèrent définitivement le logement de chacune des personnes de la famille, amies ou domestiques. Ils y resserrèrent leur vie, ils y plièrent leurs habitudes, comme un prisonnier enchaîné s’arrange dans ses fers pour en moins sentir le poids. On apporta quelques meubles, on tendit quelques tapisseries sur l’humide nudité des murailles ; on dressa quelques lits. Ceux de la reine et du roi furent empruntés au mobilier usé du palais du Temple : c’étaient les lits des écuyers du comte d’Artois. Un seul, celui du roi, avait des rideaux de damas vert éraillés et déchirés, comme il convenait à un si misérable réduit.

Après le premier déjeuner, servi encore avec un certain luxe dans la salle à manger du premier étage, le roi passa dans la tourelle à côté, feuilleta avec intérêt les vieux livres latins entassés dans cette partie de la tour par les archivistes de l’ordre des Templiers, volumes endormis depuis si longtemps sous la poussière. Il y trouva Horace, ce poëte de la volupté insouciante, oublié là comme une ironie de ces grandeurs détruites, de ces jeunesses ensevelies,