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tion des canonniers de garde, arriva à Manuel et troubla cette première joie de la captivité : c’était l’ordre d’évacuer immédiatement le palais et de renfermer, dès la première nuit, la famille royale dans la petite tour du Temple. Le roi sentit ce coup avec plus de douleur peut-être qu’il n’en avait senti à sa sortie des Tuileries. On s’attache souvent à un débris de sa destinée avec plus de force qu’à sa destinée tout entière. Tous les préparatifs d’établissement furent interrompus. Des canonniers et des municipaux transportèrent à la hâte quelques matelas et quelque linge dans les salles inhabitées de la tour. Des corps de garde s’y établirent. Le roi, la reine, les princesses, les enfants, réunis dans le salon et rassemblant autour d’eux les objets nécessaires à chacun, attendirent plusieurs heures en silence que leur prison fût prête à les recevoir.

À une heure après minuit, Manuel vint les inviter à s’y rendre. La nuit était profonde. Des municipaux portaient des lanternes devant le cortége ; des canonniers, le sabre nu, formaient la haie. Ces faibles lumières n’éclairaient que quelques pas devant eux et laissaient tout le reste dans l’obscurité ; seulement, des lampions allumés aux fenêtres et aux cordons de la forteresse du Temple faisaient entrevoir ses hautes flèches et la masse noire des tours vers lesquelles on se dirigeait silencieusement. L’édifice, ainsi éclairé, présentait des profils gigantesques et fantastiques inconnus au roi et à ses serviteurs. Un valet de chambre du roi ayant demandé à voix basse à un officier municipal si c’était là qu’on conduisait son maître : « Ton maître, lui répondit le municipal, était accoutumé aux lambris dorés ; eh bien, il va voir comment on loge les assassins du peuple. »