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et les Jacobins. Santerre releva ce poste, et choisit pour la garde du roi des cœurs inaccessibles à l’indulgence et irréconciliables avec un tyran détrôné. La rudesse des gestes, la rigueur des consignes, apprirent au roi ce changement. Le Girondin Grangeneuve, membre du comité de surveillance dont le bureau était dans le même cloître que les chambres du roi, s’alarma aussi des respects et de l’attendrissement du petit nombre d’amis qui entouraient la famille royale. Il crut à un projet d’enlèvement. Il en fit part à ses collègues. La plus ombrageuse des tyrannies, c’est la plus récente. Le comité partagea ou feignit la peur de Grangeneuve. Il ordonna l’éloignement de toutes les personnes étrangères à la domesticité immédiate de la famille. Cet ordre consterna les généreux courtisans de sa captivité. Le roi fit appeler les députés inspecteurs de la salle. « Je suis donc prisonnier, messieurs ! leur dit-il avec amertume ; Charles Ier fut plus heureux que moi ; on lui laissa ses amis jusqu’à l’échafaud. » Les inspecteurs baissèrent la tête. Leur silence répondit pour eux.

On vint prier le roi de passer dans la salle où le souper était préparé. On permit à ses amis de l’y suivre. Ce fut le dernier jour où le roi et la reine furent servis avec l’étiquette des cours par ces cinq gentilshommes debout : étiquette touchante ce jour-là, car elle était volontaire. Le respect redoublait avec l’infortune. Une tristesse muette assombrit ce dernier repas. Maîtres et serviteurs sentaient qu’ils allaient se séparer pour toujours. Le roi ne mangea pas. Il retardait à dessein l’heure où l’on enlèverait la table, afin de prolonger les minutes où il lui était permis de voir encore des visages amis. Ce long adieu lassa la patience des officiers de garde. Il fallut déchirer cet entretien. Le roi