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nous avaient honorés devant l’Europe ces misérables débats qui faillirent nous perdre, et que l’on commença à calomnier l’Assemblée législative. On vit un homme qui voulait toujours parler, parler sans cesse, exclusivement parler, non pour éclairer les Jacobins, mais pour jeter entre eux la division et surtout pour être entendu de quelques centaines de spectateurs dont on voulait obtenir les applaudissements à tout prix. Des affidés de cet homme se relayaient pour présenter tel ou tel membre de l’Assemblée aux soupçons, à l’animadversion des spectateurs crédules, et pour offrir à leur admiration un homme dont ils faisaient le plus fastueux éloge, à moins qu’il ne le fît lui-même. C’est alors qu’on vit des intrigants subalternes déclarer que Robespierre était le seul homme vertueux en France et que l’on ne devait confier le salut de la patrie qu’à cet homme, qui prodiguait les plus basses flatteries à quelques centaines de citoyens fanatisés qu’il appelait le peuple. C’est la tactique de tous les usurpateurs, depuis César jusqu’à Cromwell, depuis Sylla jusqu’à Masaniello. Nous, cependant, fidèles à l’égalité, nous avancions, bien résolus de ne pas souffrir qu’on substituât à la patrie l’idolâtrie d’un homme. Deux jours après le 10 août, je siégeais dans le conseil général provisoire ; un homme entre, il se fait un grand mouvement devant lui : c’était lui-même, c’était Robespierre. Il vient s’asseoir au milieu de nous ; je me trompe, il va s’asseoir à la première place du bureau. Stupéfait, je m’interroge moi-même ; je n’en crois pas mes yeux. Quoi ! Robespierre, l’incorruptible Robespierre, qui dans les jours du danger avait quitté le poste où ses concitoyens l’avaient placé, qui depuis avait pris vingt fois l’engagement solennel de n’accepter aucune fonction publique, Robespierre prend place tout à coup au