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prosélytisme n’était pas celui d’un ambitieux, il n’affectait ni l’influence ni l’empire. Il se dévouait à modérer et à régulariser la victoire. Philosophe autant que politique, il ne croyait pas à la liberté sans l’honnêteté. Il voulait donner la morale et la justice pour base à la république. Étranger au pouvoir, les mains pures de tout sang, de toutes dépouilles, aussi pauvre après trois années de révolution que le jour où il avait commencé à combattre pour cette cause, il vivait depuis cinq ans dans un appartement au quatrième étage, presque sans meubles, au milieu de ses livres et des berceaux de ses enfants. Tout attestait dans cet asile la médiocrité, presque l’indigence. Après les orages de la journée et les fatigues du travail que lui donnait son journal, Brissot allait à pied retrouver le soir sa femme et ses jeunes enfants abrités dans une chaumière de Saint-Cloud. Il les nourrissait de son travail comme un ouvrier de la pensée. Dépourvu de cette éloquence extérieure qui s’allume au feu des discussions et qui jaillit en gestes et en accents, il laissait la tribune à Vergniaud. Il s’était créé à lui-même une tribune dans son journal. Là, il luttait tous les matins avec Camille, Robespierre et Marat. Ses articles étaient des discours. Il s’y dévouait volontairement lui-même à la haine et aux poignards des Jacobins. Le sacrifice de sa vie était fait. Il s’immolait à la pureté de la république. Il méritait l’injure du nom d’homme d’État que lui jetaient ses ennemis. Homme d’État, en effet, par la profondeur de la pensée, par la science de l’histoire, par l’étendue du plan, par l’énergie de la volonté ; s’il avait eu la parole de Vergniaud, ou l’épée de Dumouriez, il pouvait donner un gouvernement à la république le lendemain de son avénement.