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féroce démagogue partout où ils le trouvaient. On le pendit en effigie au Palais-Royal. Une bande de Marseillais et de dragons, casernés à l’École militaire, défilèrent ensemble dans la rue des Cordeliers et s’arrêtèrent sous les fenêtres de l’ami du peuple, demandant sa tête et celles des députés de Paris, et menaçant de mettre le feu à sa maison. Marat, tremblant, se réfugia de nouveau dans son souterrain.

Un jour qu’il s’était hasardé à sortir, escorté de quelques hommes du peuple, afficheurs de ses placards, il fut rencontré par Westermann sur le Pont-Neuf. Westermann, homme de main légère, indigné des outrages que Marat lui prodiguait tous les jours dans ses feuilles, saisit l’ami du peuple par le bras et laboura ses épaules à coups de plat de sabre. Le peuple, que l’uniforme éblouit et que l’audace intimide, laissa martyriser son tribun. L’action de Westermann encouragea les sarcasmes de Louvet. « Peuple, écrivit le lendemain le jeune journaliste dans le cabinet de Roland, peuple, je vais te faire un apologue bizarre, mais qui te fera toucher au doigt la démence de ton ami Marat. Je suppose qu’un poil de ma barbe eût la faculté de parler et qu’il me dît : « Coupe ton bras droit parce qu’il a défendu ta vie. Coupe ton bras gauche, parce qu’il a porté le pain à ta bouche. Coupe ta tête, parce qu’elle a dirigé tes membres. Coupe tes jambes, parce qu’elles ont porté ton corps ! » Dis-moi à présent, peuple souverain, si je n’aurais pas mieux fait de garder mes bras, mes jambes et ma tête, et de ne couper que ce poil de barbe qui me donnait de si absurdes conseils ? Marat est le brin de barbe de la république ! Il dit : « Tuez les généraux qui chassent les ennemis ! Tuez la Convention qui dirige l’empire ! Tuez les ministres qui font marcher le gouvernement ! Tuez