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XXVIII

Quelques jours avant ces massacres, une jeune fille, d’une beauté et d’une innocence sans tache, apprit par la rumeur des prisons que les détenus devaient être égorgés. Son père, employé aux Tuileries avant le 10 août, était enfermé à l’Abbaye. Elle n’avait plus de mère. Sa tendresse désespérée la poussait de porte en porte pour obtenir la vie de son père. Aucune ne s’ouvrait. Manuel, Danton, Panis, avaient refusé de la voir. Chaque heure lui paraissait sonner le tocsin de l’égorgement. Elle se dévoua comme Judith, non pour sa ville, mais pour sauver son père. Elle fit dans son âme l’holocauste de sa vertu. Le nom de l’ami du peuple s’offrit à son esprit. Elle découvrit une femme qui connaissait Marat. Elle chargea cette femme d’une lettre pour lui. Cette lettre, dans laquelle elle offrait de se donner à lui pour prix des jours de son père, fut remise à l’ami du peuple. La messagère lui dépeignit la jeunesse, les charmes, la pureté de celle qui lui écrivait. Marat ouvrit la lettre avec un sourire équivoque. « Dites à cette enfant de se trouver ce soir, seule, sur la terrasse du bord de l’eau. L’homme qui l’abordera sans lui parler et qui lui prendra le bras sera Marat ; qu’elle le suive en silence. » La jeune fille obéit. Marat parut. Il entraîna l’inconnue, muette et tremblante, à l’extrémité des Champs-Élysées, entra chez un traiteur, demanda une salle à part, et commanda un