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pistolet, il applique la bouche du canon sur son front : « Je déclare, dit-il en prolongeant ce geste, que, si le décret d’accusation eût été lancé contre moi, je me brûlais la cervelle au pied de cette tribune… » Puis, attendrissant sa voix, et comme affaissé sous l’ingratitude de ses ennemis : « Voilà donc le fruit de trois années de cachot et d’angoisses essuyées pour sauver ma patrie ! Voilà le fruit de mes veilles, de mes travaux, de ma misère, de mes souffrances, de mes proscriptions !… Eh bien, je resterai parmi vous pour braver vos fureurs ! »

À ces mots, une foule de députés, parmi lesquels on distingue Cambon, Goupilleau, Rebecqui, Barbaroux, s’approchent de la tribune avec des gestes menaçants : « À la guillotine ! à la guillotine ! » lui crient de toutes parts des voix furieuses. Marat croise les bras sur sa poitrine et regarde d’un œil impassible la salle qui bouillonne à ses pieds. On voit à l’impassibilité de son exaltation qu’il se complaît dans ce rôle de martyr du peuple, et que la tribune est le piédestal où il veut être contemplé comme la victime de la Révolution.

On l’en arrache à force de clameurs. Moitié pitié, moitié lassitude, l’Assemblée oublie Marat, vote l’indivisibilité de la république, et se sépare. Le lendemain Marat triompha dans ses feuilles de la faiblesse de ses ennemis : « J’abandonne le lecteur, écrivait-il, à ses réflexions sur la scélératesse de la faction Guadet-Brissot. Je plains quelques-uns de leurs acolytes, et je leur pardonne : ils sont égarés. Quant aux chefs, Condorcet, Brissot, Lasource, Vergniaud, je les crois incapables de repentir, et je les poursuivrai jusqu’à la mort : ils ont juré que je périrais le 25 de ce mois par le glaive de la tyrannie ou par le poignard des