Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 11.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’empire. J’ai donc plusieurs fois proposé de donner une autorité momentanée à un homme sage et fort, sous la dénomination de tribun du peuple, de dictateur : le nom n’y fait rien. Mais la preuve que je voulais l’enchaîner à la patrie, c’est que je proposais qu’on lui mît un boulet aux pieds et qu’il n’eût d’autorité que pour abattre des têtes criminelles ! Telle est mon opinion. Je n’en rougis pas ; j’y ai mis mon nom. Si vous n’êtes pas encore à la hauteur de m’entendre, tant pis pour vous ! Les troubles ne sont pas finis. Déjà cent mille patriotes ont été égorgés parce qu’on n’a pas entendu ma voix ; cent mille autres seront égorgés encore. Si le peuple faiblit, l’anarchie n’aura point de fin. M’accuse-t-on de vues ambitieuses ? Voyez-moi et jugez-moi. » Il montra de l’index le mouchoir sale qui enveloppait sa tête malade, et secoua les basques débraillées de sa veste sur sa poitrine nue.

« Si j’avais voulu, poursuivit-il, mettre un prix à mon silence ; si j’avais voulu quelque place, j’aurais pu être l’objet des faveurs de la cour. Eh bien, quelle a été ma vie ? Je me suis enfermé volontairement dans des cachots souterrains, je me suis condamné à la misère, à tous les dangers ! Le glaive de vingt mille assassins était suspendu sur moi, et je prêchais la vérité la tête sur le billot !…

» Je ne vous demande en ce moment que d’ouvrir les yeux. Ne voyez-vous pas un complot pour jeter la discorde parmi nous et distraire l’Assemblée des grands objets qui doivent l’occuper ? Que ceux qui ont fait revivre aujourd’hui le fantôme de la dictature se réunissent à moi et qu’ils marchent avec les vrais patriotes aux grandes mesures seules capables d’assurer le bonheur du peuple, pour lequel je sacrifierais tous les jours de ma vie ? »