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resta jusqu’à la nuit. Le triomphe de la veille avait rendu le peuple exigeant, et les motions plus sanguinaires. Des pétitionnaires assiégeaient la barre, demandant à grands cris le sang des Suisses de l’escorte du roi, réfugiés dans l’enceinte des Feuillants. L’Assemblée disputait aux assassins ces deux cents victimes. Santerre, mandé par Vergniaud pour protéger les prisonniers, annonçait le massacre imminent de ceux qu’on avait arrêtés dans le bois de Boulogne. Des voix féroces hurlaient aux portes qu’on leur livrât leur proie ! « Grands dieux, quels cannibales ! » s’écria Vergniaud.

Des traits de générosité populaire se mêlèrent à ces rugissements de brutes avides de carnage. Des combattants vinrent prendre les vaincus sous leur responsabilité et se dévouer à leur salut. Mailhe et Chabot, envoyés pour haranguer les rassemblements, furent accueillis par les cris : « À bas les orateurs ! » Il y eut un moment où la terreur s’empara de l’Assemblée, l’enceinte extérieure était forcée. Vergniaud, intrépide pour lui-même, craignit pour les jours du roi. Les inspecteurs de la salle accoururent et firent retirer la famille royale dans le couloir, afin que si le peuple entrait les armes à la main dans la salle il ne trouvât pas ses victimes sous sa main. Le roi, qui crut le moment suprême arrivé pour lui et pour sa famille, songea seulement au salut de ses serviteurs. Il les conjura de l’abandonner à son sort et de penser à leur propre sûreté. Aucun d’eux ne pesa sa vie contre son devoir. Ils restèrent où l’honneur et l’attachement leur commandaient de vivre ou de mourir. La consigne fit reculer le peuple. Danton accourut, fendit cette foule avec l’autorité de son nom et la terreur de son geste. Il demanda patience et non générosité