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XIV

Ainsi vivait cet homme, dont la puissance, nulle autour de lui, devenait immense en s’éloignant de sa personne. Cette puissance n’était qu’un nom. Ce nom ne régnait que dans l’opinion. Robespierre était devenu peu à peu le seul nom que répétât sans cesse le peuple. À force de se produire à toutes les tribunes comme le défenseur des opprimés, il avait martelé son image et l’idée de son patriotisme dans la pensée de cette partie de la nation. Son séjour chez le menuisier, sa vie commune avec une famille d’honnêtes artisans, n’avaient pas peu contribué à incruster le nom de Robespierre dans la masse révolutionnaire, mais probe, du peuple de Paris. Les Duplay, leurs ouvriers, leurs amis dans les divers quartiers de la capitale, parlaient de Robespierre comme du type de la vérité et de la vertu. Dans ce temps de fièvre d’opinion, les ouvriers ne se répandaient pas, comme aujourd’hui, après leur travail, dans les lieux de plaisir et de débauche, pour y consumer les heures du soir en vains propos. Une seule pensée agitait, dispersait, rassemblait la foule. Rien n’était isolé et individuel dans les impressions ; tout était collectif, populaire, tumultueux. La passion soufflait de tous les cœurs et sur tous les cœurs à la fois. Des journaux, à un nombre incalculable d’abonnés, pleuvaient toutes les heures et sur toutes les couches de la population, comme autant d’étincelles sur des matières