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cours qu’il avait préparés et qu’il ne prononça jamais, le soin de style qui s’y remarque, les corrections infatigables dont ils sont tachés par sa plume sur les manuscrits, attestent ses veilles et son obstination. Il visait à l’art au moins autant qu’à l’empire. Il savait que la foule aime le beau au moins autant que le vrai. Il traitait le peuple comme les grands écrivains traitent la postérité, sans compter leurs peines et sans familiarité. Il se drapait dans sa philosophie et dans son patriotisme.

Ses seules distractions étaient des promenades solitaires, à l’imitation de Jean-Jacques Rousseau, son modèle, aux Champs-Élysées ou dans les environs de Paris. Il n’avait pour compagnon de ses courses que son grand chien de la race des dogues, qui couchait à la porte de sa chambre, et qui suivait toujours son maître quand il sortait. Ce chien colossal, connu du quartier, s’appelait Brount. Robespierre l’aimait beaucoup et jouait sans cesse avec lui. C’était la seule escorte de ce tyran de l’opinion qui faisait trembler le trône et fuir à l’étranger toute l’aristocratie de son pays.

Dans les moments d’agitation extrême, et quand on craignait pour la vie des démocrates, le typographe Nicolas, le serrurier Didier et quelques amis accompagnaient de loin Robespierre. Il s’irritait de ces précautions prises à son insu. « Laissez-moi sortir de votre maison et aller vivre seul, disait-il à son hôte ; je compromets votre famille, et mes ennemis feront un crime à vos enfants de m’avoir aimé. — Non, non, nous mourrons ensemble ou le peuple triomphera, » répondait Duplay. Quelquefois, le dimanche, toute la famille sortait de Paris avec Robespierre, et le tribun, redevenu homme, s’égarait avec la mère, les sœurs et le frère d’Éléonore, dans les bois de Versailles ou d’Issy.