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ou la popularité. L’armée, il n’en avait pas encore, bien qu’il songeât à s’en donner une ; la popularité, il avait le sens politique trop sûr et trop exercé pour compter longtemps sur la sienne. Il la sentait s’user et s’échapper heure par heure. De plus, il avait assez de hauteur de vues pour la mépriser. Juger et mépriser sa propre popularité, c’est le signe de l’homme d’État. Danton était né avec ce signe. Une seule chose lui avait manqué pour saisir et retenir ce rôle d’homme d’État : la moralité de l’ambition et l’innocence des moyens. Il était puni sur le coup. Grand et redouté encore par le retentissement de son forfait, il ne se dissimulait pas le repoussement que son nom inspirait autour de lui. Il ne pouvait vaincre ce sentiment de répulsion publique que par de nouveaux crimes ou par une disparition volontaire de la scène pendant un certain temps. De nouveaux crimes ? Il n’en avait pas la soif. Le sang de septembre lui était trop amer pour qu’il en répandît davantage. Danton avait un cœur d’homme au fond, perverti, mais non insensible. Sa cruauté avait été un spasme de passion plutôt que l’assouvissement d’une âme atroce. C’était le système qui avait immolé en lui, non la nature. Il ne l’avouait pas encore en public, mais il l’avouait à sa femme. Il se repentait. Nous avons vu qu’il méditait, comme Sylla, une disparition volontaire et momentanée du pouvoir. Il méprisait assez ses rivaux pour leur abandonner la scène. « Vois-tu ces hommes, disait-il un soir à Camille Desmoulins en parlant des Girondins, de Robespierre et de Marat, dans un de ces épanchements intimes où son orgueil trahissait souvent les secrets de son âme, vois-tu ces hommes ? Il n’y en a pas un qui vaille un des rêves seulement de Danton ! La nature n’avait jeté que deux âmes dans le moule