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IV

La France était née, avait grandi, avait vieilli sous la royauté ; sa forme était devenue, par la longueur du temps, sa nature. Nation militaire, elle avait couronné ses premiers soldats ; nation féodale, elle avait inféodé son gouvernement civil à l’exemple de ses terres ; nation religieuse, elle avait sacré ses chefs, attribué à ses rois une sorte de délégation divine, adoré la royauté comme un dogme, proscrit l’indépendance d’opinion comme une révolte. Une vaine ombre d’indépendance individuelle et de privilége des provinces subsistait dans les parlements, dans les états provinciaux, dans les administrations communales. La loi, c’était le roi ; le noble, c’était le sujet ; le peuple, c’était le serf, ou tout au plus l’affranchi. Nation militaire et fière, la France avait ennobli sa servitude par l’honneur, sanctifié l’obéissance par le dévouement, personnifié le pays dans la royauté. Le roi disparaissant, elle ne savait plus où était la patrie. Le droit, le devoir, le drapeau, tout disparaissait avec lui. Le roi était le dieu visible de la nation ; la vertu était de lui obéir.

Rien n’avait créé dans le peuple l’exercice des vertus civiques qui sont l’âme des gouvernements libres. Honneurs, dignités, influences, pouvoirs, grades, rien ne remontait du peuple, tout descendait du roi. Les ambitions ne regardaient pas en bas, mais en haut. L’estime ne don-