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çais, se présenta à l’audience du ministre de la guerre, Servan, pour se plaindre d’une injustice que lui faisaient les bureaux. Servan, malade, était dans son lit. Il écoutait avec distraction le jeune prince. Danton était présent et semblait commander au ministère de la guerre plus que le ministre lui-même. Il prit à part le duc de Chartres et lui dit tout bas : « Que faites-vous ici ? Vous voyez bien que Servan est un fantôme de ministre et qu’il ne peut ni vous servir ni vous nuire. Mais venez demain chez moi ; je vous entendrai et j’arrangerai votre affaire, moi. » Le duc de Chartres s’étant rendu le lendemain à la chancellerie, Danton le reçut avec une sorte de brusquerie paternelle : « Eh bien, jeune homme, dit-il au duc de Chartres, qu’ai-je appris ? On assure que vous tenez des discours qui ressemblent à des murmures ? que vous blâmez les grandes mesures du gouvernement ? que vous vous répandez en compassion pour les victimes, en imprécations contre les bourreaux ? Prenez-y garde, le patriotisme n’admet pas de tiédeur, et vous avez à vous faire pardonner un grand nom. » Le prince avoua avec une fermeté au-dessus de son âge que l’armée avait horreur du sang versé ailleurs que sur le champ de bataille, et que les assassinats de septembre lui paraissaient déshonorer la liberté. « Vous êtes trop jeune pour juger ces événements, répliqua Danton avec une attitude et un accent de supériorité ; pour les comprendre, il faut être à la place où nous sommes. La patrie était menacée, et pas un défenseur ne se levait pour elle ; les ennemis s’avançaient, ils allaient nous submerger ; nous avons eu besoin de mettre un fleuve de sang entre les tyrans et nous ! À l’avenir, taisez-vous ! Retournez à l’armée, battez-vous bien, mais ne prodiguez pas inutilement