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pas le gouvernement, mais la patrie. D’ailleurs il avait l’ambition grande comme le génie, vague comme l’avenir. Une république agitée au dedans, menacée au dehors, ne pouvait pas mécontenter un soldat victorieux à la tête d’une armée qui l’adorait. La royauté abolie, il n’y avait rien de plus haut dans la nation que son généralissime. Les commissaires avaient aussi pour mission de ramener l’armée au delà de la Marne. Dumouriez leur demanda six jours. Il les obtint. Le septième jour, au lever du soleil, les vedettes françaises virent les collines du camp de la Lune nues et désertes, et les colonnes du duc de Brunswick filer lentement entre les mamelons de la Champagne et reprendre la direction de Grandpré. La fortune avait justifié la persévérance. Le génie avait lassé le nombre. Dumouriez était triomphant. La France était sauvée.

À cette nouvelle, un cri général de : « Vive la nation ! » s’éleva de tous les postes de l’armée française. Les commissaires, les généraux, Beurnonville, Miranda, Kellermann lui-même, se jetèrent dans les bras de Dumouriez, et reconnurent la supériorité de ses vues et la toute-puissance de sa volonté. Les soldats le proclamèrent le Fabius de la patrie. Mais ce nom, qu’il acceptait pour un jour, répondait mal à l’ardeur de son âme, et il rêvait déjà au dehors le rôle d’Annibal, plus conforme à l’activité de son caractère et à l’obstination de son génie. Celui de César pouvait aussi le tenter un jour au dedans. Cette ambition de Dumouriez explique seule la retraite impunie des Prussiens à travers un pays ennemi, par des défilés faciles à changer en fourches Caudines, et sous le canon de cinquante mille Francais, devant lesquels l’armée décimée et énervée du duc de Brunswick avait à opérer une marche de flanc.