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mois, la fatiguer d’inquiétude, et reprendre l’offensive au printemps.

Le duc ne prit aucun de ces trois partis. Il perdit dix jours irréparables à observer l’armée française et à épuiser le sol stérile qu’il occupait. La saison pluvieuse et fébrile le surprit dans cette hésitation. Les pluies défoncèrent les routes de l’Argonne par lesquelles ses convois lui arrivaient de Verdun. Ses soldats, sans abri et dénués de vivres, se répandirent dans les champs, dans les vergers, dans les vignes pour s’y assouvir de raisins verts, que ces hommes du Nord cueillaient pour la première fois. Leur estomac débilité par la mauvaise nourriture leur fit contracter ces maladies d’entrailles qui enlèvent la force et le cœur aux soldats. La contagion se répandit rapidement dans le camp et décima les corps. Les routes étaient couvertes de chariots qui emmenaient les pâles soldats de Brunswick aux hôpitaux de Longwy et de Verdun.

La situation de Dumouriez ne paraissait cependant pas plus rassurante aux esprits qui n’avaient pas le secret de ses pensées. Enfermé du côté des Évêchés par le prince de Hohenlohe, il l’était également du côté de Paris par le roi de Prusse. Les Prussiens n’étaient qu’à six lieues de Châlons, les émigrés plus près encore. Les uhlans, cavalerie légère des Prussiens, venaient marauder jusqu’aux portes de Reims. Entre la capitale et Châlons pas une position, pas une armée. Paris tremblait de se sentir découvert. Les bruits sinistres, grossis par la malveillance et la peur, annonçaient à chaque instant aux Parisiens consternés l’approche du roi de Prusse ; les journaux criaient à la trahison. Le gouvernement, le ministre de la guerre, Danton lui-même, envoyaient courriers sur courriers à Dumouriez pour