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frappent plus loin l’oreille de ses soldats, voici le moment de la victoire. Laissons avancer l’ennemi sans tirer un seul coup, et chargeons à la baïonnette ! » En disant ces mots, il élève et agite son chapeau, orné du panache tricolore, sur la pointe de son épée. « Vive la nation ! s’écrie-t-il d’une voix plus tonnante encore, allons vaincre pour elle ! »

Ce cri du général, porté de bouche en bouche par les bataillons les plus rapprochés, court sur toute la ligne ; répété par ceux qui l’avaient proféré les premiers, grossi par ceux qui le répètent pour la première fois, il forme une clameur immense, semblable à la voix de la patrie animant elle-même ses premiers défenseurs. Ce cri de toute une armée, prolongé pendant plus d’un quart d’heure et roulant d’une colline à l’autre, dans les intervalles du bruit du canon, rassure l’armée avec sa propre voix et fait réfléchir le duc de Brunswick. De pareils cœurs promettent des bras terribles. Les soldats français, imitant spontanément le geste sublime de leur général, élèvent leurs chapeaux et leurs casques au bout de leurs baïonnettes et les agitent en l’air, comme pour saluer la victoire. « Elle est à nous ! » dit Kellermann, et il s’élance au pas de course au-devant des colonnes prussiennes, en faisant redoubler les décharges de son artillerie. À l’aspect de cette armée qui s’ébranle comme d’elle-même en avant, sous la mitraille de quatre-vingts pièces de canon, les colonnes prussiennes hésitent, s’arrêtent, flottent un moment en désordre. Kellermann avance toujours. Le duc de Chartres, un drapeau tricolore à la main, lance sa cavalerie à la suite de l’artillerie à cheval. Le duc de Brunswick, avec le coup d’œil d’un vieux soldat et cette économie de sang qui caractérise les généraux consommés, juge à l’instant que son attaque s’amortira contre