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batteries, trois de canons et une d’obusiers. Une autre batterie de même force, qui prenait en flanc les lignes françaises, restait encore cachée sous un flocon de brouillard, sur la droite des Prussiens, et ne tarda pas à déchirer de la commotion de ses salves la brume qui l’enveloppait. Le feu commença à la fois de front et de flanc.

À ce feu, l’artillerie de Kellermann s’ébranle et s’établit en avant de l’infanterie. Plus de vingt mille boulets, échangés pendant deux heures par cent vingt pièces de canon, labourent le sol des deux collines opposées, comme si les deux artilleries eussent voulu faire brèche aux deux montagnes. L’épaisse fumée de la poudre, la poussière élevée par le choc des boulets qui émiettaient la terre, rampant sur le flanc des deux coteaux et rabattues par le vent dans la gorge, empêchaient les artilleurs de viser juste et trompaient souvent les coups. On se combattait du fond de deux nuages, et l’on tirait au bruit plus qu’à la vue. Les Prussiens, plus découverts que les Français, tombaient en plus grand nombre autour des pièces. Leur feu se ralentissait. Kellermann, qui épiait le moindre symptôme d’ébranlement de l’ennemi, croit reconnaître quelque confusion dans ses mouvements. Il s’élance à cheval à la tête d’une colonne pour s’emparer de ces pièces. Une nouvelle batterie, masquée par un pli du terrain, éclate sur le front de sa colonne. Son cheval, le poitrail ouvert par un éclat d’obus, se renverse sur lui et expire. Le lieutenant-colonel Lormier, son aide de camp, est frappé à mort. La tête de la colonne, foudroyée de trois côtés à la fois, tombe, hésite, recule en désordre. Kellermann, dégagé et emporté par ses soldats, revient chercher un autre cheval. Les Prussiens, qui ont vu la chute d’un général et la retraite de sa troupe, redoublent