Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 11.djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


XIV

Les Prussiens couronnaient les crêtes des hauteurs de la Lune et commençaient à en descendre en ordre de bataille. Les vieux soldats du grand Frédéric, lents et mesurés dans leurs mouvements, ne montraient aucune impétuosité et ne donnaient rien au hasard. Leurs bataillons marchaient d’une seule pièce et se profilaient en lignes géométriques et à angles droits comme des bastions. Ils semblaient hésiter à aborder de près un ennemi qu’ils dépassaient deux fois en nombre et en tactique, mais dont ils redoutaient la témérité ou le désespoir.

De leur côté, les Français ne contemplaient pas sans un certain ébranlement d’imagination cette armée immense, jusque-là invincible, avançant silencieusement sa première ligne en colonnes et déployant ses deux ailes pour foudroyer leur centre et leur couper toute retraite soit sur Châlons, soit sur Dumouriez. Les soldats restaient immobiles sur leurs positions, craignant de dégarnir par un faux mouvement le champ de bataille étroit où ils pouvaient se défendre, mais où ils n’osaient manœuvrer. Descendus à mi-côte de la colline de la Lune, les Prussiens s’arrêtèrent. Leurs compagnies de sapeurs aplanirent le terrain en larges plates-formes, et l’artillerie, débouchant à travers les bataillons qui s’ouvrirent, porta au galop sur le front des colonnes quarante-huit bouches à feu divisées en quatre