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Dumouriez crut ressaisir la victoire en revoyant ces braves soldats qu’il appelait ses enfants et qui l’appelaient leur père. Il se porta à cheval à la rencontre de Beurnonville. Du plus loin que la colonne l’aperçut, officiers, sous-officiers, soldats, oubliant leurs fatigues et agitant leurs chapeaux au bout de leurs sabres et de leurs baïonnettes, saluèrent d’une immense acclamation leur premier chef. Dumouriez les passa en revue. Il reconnaissait tous les officiers par leurs noms, tous les soldats par leurs visages. Ces bataillons et ces escadrons qu’il avait patiemment formés, disciplinés, habitués au feu pendant les lentes temporisations de Luckner à l’armée du Nord, défilèrent devant lui couverts de la poussière de leur longue marche, les chevaux amaigris, les uniformes déchirés, les souliers usés, mais les armes complètes et polies comme dans un jour de parade.

Quand les officiers d’état-major eurent assigné à chaque corps sa position, et que les armes furent en faisceaux devant le front des tentes, ces soldats, plus pressés de revoir leur général que de manger la soupe, entourèrent tumultuairement Dumouriez, les uns flattant de la main l’épaule de son cheval, les autres baisant sa botte, ceux-ci lui prenant familièrement la main en la serrant comme celle d’un ami retrouvé, ceux-là lui demandant s’il les mènerait bientôt au combat, tous faisant éclater dans leurs yeux et sur leurs physionomies cet attachement familier qu’un chef aimé de ses soldats change, quand il le veut, en héroïsme. Dumouriez, qui connaissait le cœur du soldat, vieux soldat lui-même, fomentait, au lieu de la réprimer, du regard, du sourire, de la main, cette familiarité militaire qui n’ôte rien au respect et qui ajoute au dévouement des troupes. Il