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vaient s’y rallier à son noyau de troupes pour vaincre ou tomber avec lui, la fortune trompait encore une fois sa prudence et semblait se complaire à déjouer son génie. À la nouvelle de la retraite de Grandpré, Kellermann, croyant Dumouriez battu, et craignant de tomber, en se rapprochant de l’extrémité de l’Argonne, dans les masses prussiennes qu’il supposait au delà de ce défilé, avait rétrogradé jusqu’à Vitry. Les courriers de Dumouriez le rappelaient heure par heure. Il avançait de nouveau, mais avec la lenteur d’un homme qui craint un piége à chaque pas. Kellermann n’avait pas le secret de la fortune de Dumouriez. Il hésitait en obéissant. D’un autre côté, l’ami et le confident de Dumouriez, Beurnonville, qui s’avançait de Rethel sur Grandpré avec l’armée auxiliaire du camp de Maulde, avait rencontré les fuyards du corps de Chazot. Déconcerté par leurs récits d’une déroute complète de son général, Beurnonville s’était porté avec quelques cavaliers sur une colline d’où l’on apercevait l’Argonne et les mamelons nus qui s’étendent de Grandpré à Sainte-Menehould.

C’était dans la matinée du 17, à l’heure où l’armée de Dumouriez filait de Dommartin sur Sainte-Menehould. À l’aspect de cette colonne de troupes qui serpentait dans la plaine et dont la distance et la brume empêchaient de distinguer les uniformes et les drapeaux, Beurnonville ne douta pas que ce ne fût l’armée prussienne marchant à la poursuite des Français. Il changea de route, doubla le pas et se dirigea sur Châlons pour s’y rallier à son général. Informé à Châlons de son erreur par un aide de camp, Beurnonville ne donna que douze heures de repos à ses troupes harassées, et arriva le 19 avec les neuf mille hommes aguerris qu’il ramenait de si loin au champ de bataille.