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deux généraux restait invisible pour la masse des officiers et des troupes ; au camp même de Dumouriez on ne voyait dans cette immobilité qu’une obstination fatale à tenter l’impossible ; on y présageait l’emprisonnement certain de son armée entre les vastes corps dont le duc de Brunswick allait l’envelopper et l’étouffer. Les vivres étaient rares et mauvais. Le général lui-même mangeait le pain noir de munition. Des légumes et point de viande, de la bière et point de vin. Les maladies, suite de l’épuisement, travaillaient les troupes. Les murmures sourds aigrissaient les esprits. Les ministres, les députés, Luckner lui-même, influencés par les correspondances du camp, ne cessaient d’écrire à Dumouriez d’abandonner sa position compromise et de se retirer à Châlons. Ses amis l’avertissaient qu’une plus longue persévérance de sa part entraînerait sa destitution, et peut-être un décret d’accusation contre lui.


II

Ses propres lieutenants forcèrent un matin l’entrée de sa tente, et, lui communiquant les impressions de l’armée, lui représentèrent la nécessité de la retraite ; Dumouriez, appuyé sur lui seul, reçut ces observations avec un front sévère. « Quand je vous rassemblerai en conseil de guerre, j’écouterai vos avis, leur dit-il, mais en ce moment je ne consulte que moi-même. Seul chargé de la conduite de la