Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 11.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lieu du carrefour des Quatre-Bornes. Les têtes coupées et promenées par les meurtriers sont plantées sur les piques des grilles du palais de Versailles. On y reconnaissait la tête du duc de Brissac à ses cheveux blancs tachés de sang et enroulés autour de la grille de la porte de ses maîtres. Deux de ces assassins, Foliot, marguillier de Meudon, et Hurtevent, garde du bois de Verrières, portaient, de café en café, l’un, le cœur saignant arraché de la poitrine du duc de Brissac, l’autre, un lambeau de chair obscène coupé du cadavre du ministre de Lessart. Une jeune femme, enceinte de quelques mois, aux yeux de laquelle ils étalèrent cette chair humaine, tomba à la renverse à cet aspect, se brisa la tête et mourut d’horreur sur le coup. Des enfants dépeçaient les membres dans la rue et les jetaient aux chiens effrayés. Une femme porta par les cheveux une de ces têtes à l’assemblée des électeurs et la posa sur le bureau du président. Tout ce qui n’applaudissait pas se taisait. Le silence était du courage.

Il y avait plus d’une heure que les massacres étaient accomplis et les morts abandonnés dans leur sang, quand des spectateurs, qui contemplaient de loin ces restes, virent un léger mouvement agiter les cadavres. Des bras ensanglantés se levèrent, puis une tête chauve se fit jour, puis le tronc nu d’un vieillard se dressa au sommet de ce monceau de cadavres. C’était un des prisonniers qui se réveillait de l’évanouissement d’une mort incomplète, ou qui, pris pour mort par les assassins, s’était dérobé sous les cadavres aux coups qui devaient l’achever. Il cherchait à se dégager de ce tas de corps mutilés où il était enfoncé jusqu’à la ceinture, et il épiait d’un regard furtif de quel côté il se traînerait pour trouver asile. Déjà les témoins