Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 11.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lation de violence, fut renversé de son cheval par des hommes du peuple, et se débattit faiblement pour faire rouvrir la grille qui le séparait du gros de sa troupe et de son dépôt. Lazouski, avec l’arrière-garde, ne fit aucune démonstration pour se rapprocher du cortége. Les assassins, maîtres des voitures, se jetèrent sur les prisonniers enchaînés, qu’on ne leur disputait plus. En vain le maire Richaud s’élança-t-il entre eux et leur proie ; en vain, montant lui-même sur le premier chariot et écartant des deux mains les sabres et les piques, couvrit-il de son corps les deux premières victimes. Renversé sur leurs cadavres, inondé de leur sang, les assassins l’emportèrent évanoui d’émotion dans une maison voisine, cet achevèrent sans résistance, pendant plus d’une heure, cette boucherie de sang-froid, qu’une ville entière terrifiée et deux mille hommes armés leur laissèrent achever en plein jour.

L’intrépide Richaud, seul, revenu de son évanouissement, et s’arrachant aux bras qui voulaient le retenir, s’échappe de la maison où il a été transporté, revient aux voitures, tombe aux genoux des assassins, s’attache à leurs bras ensanglantés, leur reproche de déshonorer la Révolution et la ville où elle a triomphé du despotisme, leur offre sa propre vie pour racheter la vie de la dernière de leurs victimes. On l’admire et on l’écarte. À peine sept ou huit prisonniers, se précipitant des chariots dans la confusion du carnage, protégés par la pitié des spectateurs, parviennent-ils à s’échapper et à se réfugier dans les maisons voisines. Tout le reste succombe. Quarante-sept cadavres, les mains et les pieds encore enchaînés, jonchent la rue et attestent la barbarie et la lâcheté des égorgeurs. Un monceau de troncs et de membres mis en pièces s’élève au mi-