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plus meurtrier. Les femmes, parées comme pour un jour de fête, ne craignaient pas de s’approcher de ces tombereaux et de contempler ces restes de la boucherie du matin. Ce peuple, où la tristesse ne dure pas tout un jour, laissait entendre le murmure sourd, les chuchotements enjoués, et les bourdonnements des conversations ordinaires dans ses lieux publics. Les spectacles étaient ouverts ; les spectateurs se pressaient aux portes des théâtres, comme si la chute d’un empire n’eût été pour la ville qu’un spectacle de plus déjà oublié.

Les Marseillais, les Brestois, les masses des faubourgs, se replièrent dans leurs quartiers lointains et dans leurs casernes. Ils avaient fait leur journée. Ils avaient payé de plus de trois mille six cents cadavres leur tribut désintéressé à cette Révolution, dont le prix ne devait être recueilli que par leurs enfants.


VI

Ces soldats et ce peuple n’avaient pas combattu pour le pouvoir, encore moins pour les dépouilles. Ils rentraient les mains vides, les bras lassés, dans leurs ateliers. Ouvriers de la liberté, ils lui avaient donné un jour. Ils combattaient pour elle sans la bien comprendre : indifférents à la fortune du pouvoir, à la monarchie, à la république ; incapables de définir les mots pour lesquels ils mouraient, mais poussés comme par un pressentiment divin des destinées qu’ils con-