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V

Le ciel était serein ; la fraîcheur du soir et l’émotion fébrile des événements du jour engageaient les habitants à sortir de leurs demeures et à respirer l’air d’une nuit d’été. La curiosité de savoir ce qui se passait à l’Assemblée et de visiter le champ de bataille de la matinée poussait instinctivement vers les quais, vers les Champs-Élysées et vers les Tuileries, les oisifs, les jeunes gens et les femmes des quartiers éloignés de la capitale. De longues colonnes de promeneurs paisibles erraient dans les allées et sous les arbres des Tuileries rendues au peuple. Les flammes et la fumée des meubles dévorés par l’incendie, dans les cours, flottaient sur les toits du château et illuminaient les deux rives de la Seine. Les aborda du palais brûlaient du côté du pavillon de Flore. Un foyer de quinze cents toises, cerné par les pompiers et les sapeurs, lançait ses gerbes par-dessus la galerie du Louvre et menaçait à chaque instant d’embraser le château dévasté. Le feu, qui se reflétait, entre le Pont-Neuf et le pont Louis XVI, dans la Seine, donnait aux eaux l’apparence du sang. Des tombereaux, accompagnés d’agents envoyés par la commune, ramassaient, dans les Champs-Élysées, sur la place Louis XV, dans le jardin, dans les cours, les quatre mille cadavres des Suisses, des Marseillais, des fédérés, qui marquaient par l’amoncellement de leurs corps les places où le combat avait été le