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au tombeau. D’autres enfin, signalés à l’effroi de leurs voisins et odieux à leurs proches, s’éloignèrent de leur quartier, s’engagèrent dans des bataillons de volontaires, ou, insatiables de crimes, s’enrôlèrent dans les bandes d’assassins qui allèrent continuer à Orléans, à Lyon, à Meaux, à Reims, à Versailles, les proscriptions de Paris. De ce nombre furent Charlot, Grizon, Mamin, le tisserand Rodi, Hanriot, le garçon boucher Allaire, et un nègre, nommé Delorme, amené à Paris par Fournier l’Américain. Ce noir, infatigable au meurtre, égorgea à lui seul plus de deux cents prisonniers pendant les trois jours et les trois nuits du massacre, sans prendre d’autre relâche que les courtes orgies où il allait retremper ses forces dans le vin. Sa chemise rabattue sur sa ceinture laissait voir son tronc nu ; ses traits hideux, sa peau noire rougie de taches de sang, les éclats de rire sauvage qui ouvraient sa bouche et montraient ses dents à chaque coup qu’il assénait, faisaient de cet homme le symbole du meurtre et le vengeur de sa race. C’était un sang qui en épuisait un autre ; le crime exterminateur punissait l’Européen de ses attentats sur l’Afrique. Ce noir, qu’on retrouve une tête coupée à la main dans toutes les convulsions populaires de la Révolution, fut, deux ans plus tard, arrêté aux journées de prairial, portant au bout d’une pique la tête du député Féraud, et périt enfin du supplice qu’il avait tant de fois prodigué. Aussitôt que ses complices de septembre réfugiés aux armées dans les bataillons de volontaires y furent signalés à leurs camarades, les bataillons les vomirent avec dégoût. Les soldats ne pouvaient pas vivre à côté des assassins. Le drapeau du patriotisme devait être pur du sang des citoyens. L’héroïsme et le crime ne voulaient pas être confondus.