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d’insignifiants délits. Elle n’avait laissé exposées au massacre que des victimes coupables à ses yeux et dévouées d’avance aux hasards de ces journées. Le massacre y commença dans la matinée du 3 septembre. Le tribunal institué pour juger les crimes du 10 août tenait ses séances dans le palais, à quelques pas du lieu de l’exécution. Les massacreurs impatients n’attendaient pas sa justice trop lente. La mort devança les jugements, et la pique jugea en masse. Quatre-vingts cadavres jonchèrent en peu de minutes la cour du palais. Pendant ce temps le tribunal jugeait encore. Le major Bachmann, commandant en second des Suisses au 10 août, est appelé devant les juges. Les assassins le rencontrent dans l’escalier qui conduit de la prison au prétoire. Ils le respectent en sa qualité de victime de la loi. Condamné à mort en cinq minutes, Bachmann monte dans la charrette qui doit le conduire au supplice. Debout, le front haut, l’œil serein, la bouche fière, martialement drapé dans son manteau rouge d’uniforme comme un soldat qui se repose au bivouac, il conserve en face de la mort la dignité du commandement. Il jette un regard de dédain sur la foule sanguinaire qui s’agite sous les roues en demandant sa tête. La charrette traverse lentement la cour où le peuple immole ses compatriotes et ses amis. Bachmann ne s’attendrit que sur eux. Ceux de ses soldats qui attendent encore leur tour de mourir s’inclinent respectueusement sur le passage de leur chef, et semblent reconnaître leur commandant jusque dans la mort. Le bourreau qui le saisit est sa sauvegarde contre les assassins. Ils ne lui font grâce qu’à la condition de l’échafaud. C’est son champ de bataille du jour. Il y monte avec orgueil et y meurt en soldat.

Deux cent vingt cadavres au grand Châtelet, deux cent