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ments des mourants. Des voix qui prononçaient son nom montaient jusqu’à ses oreilles. Malade, couchée sur son lit, passant des convulsions de la terreur à l’anéantissement du sommeil, réveillée en sursaut par des songes moins affreux que les contre-coups du meurtre sous sa fenêtre, elle s’évanouissait à chaque instant. À quatre heures deux gardes nationaux entrèrent dans la chambre de la princesse et lui ordonnèrent avec une rudesse feinte de se lever et de les suivre à l’Abbaye. Ne pouvant qu’à peine se soulever sur son séant et se soutenir sur le coude, elle supplia ses défenseurs de la laisser où elle était, aimant autant, disait-elle, mourir là qu’ailleurs. Un de ces hommes se pencha vers son lit, et lui dit à l’oreille qu’il fallait obéir et que son salut en dépendait. Elle pria les hommes qui étaient dans sa chambre de se retirer, s’habilla promptement et descendit l’escalier, soutenue par le garde national qui semblait s’intéresser à son salut.

Hébert et Lhuilier l’attendaient. À l’aspect de ces figures sinistres, de cet appareil du crime, de ces bourreaux aux bras teints de sang entr’ouvrant la porte de la cour où l’on entendait tomber les victimes, la jeune femme perdit l’usage de ses sens, et glissa dans les bras de sa femme de chambre. Elle revint lentement à la vie. Après un bref interrogatoire : « Jurez, lui dirent les juges, l’amour de l’égalité et de la liberté, la haine des rois et des reines. — Je ferai volontiers le premier serment, répondit-elle ; quant à la haine du roi et de la reine, je ne puis la jurer, car elle n’est pas dans mon cœur. » Un des juges se pencha vers elle : « Jurez tout, lui dit-il avec un geste significatif ; si vous ne jurez pas, vous êtes morte. » Elle baissa la tête et ferma les lèvres. « Eh bien, sortez, lui dirent les assis-