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les membres des victimes ; les mêmes torches éclairant la nuit les mêmes saturnales et se réverbérant dans un lac de sang ; enfin, la même impassibilité de la force publique assistant et consentant aux égorgements.

Cent soixante têtes roulèrent en deux jours sous le sabre et sous les pieds des meurtriers. Hébert et Lhuilier en sauvèrent dix, parmi lesquelles plusieurs femmes de la reine. Quel prix paya leur salut ? On ne le vit pas compter dans la main des juges. Mais le glaive, qui s’abattit sans pitié sur les plus obscures et les plus pauvres, épargna les plus illustres et les plus riches. On marchanda le sang goutte à goutte. On fit payer la pitié.

Une seule de ces victimes, rachetée dans l’intention des juges, ne put échapper au supplice. Hébert et Lhuilier voulaient la sauver. Un cri la perdit. Elle tomba entre le tribunal et la rue. C’était la princesse de Lamballe. Cette jeune veuve du fils du duc de Penthièvre était une princesse de Savoie-Carignan. Sa beauté et les charmes de son âme lui avaient attiré l’attachement passionné de Marie-Antoinette. La chaste affection de la princesse de Lamballe n’avait répondu aux odieux soupçons du peuple que par un héroïque dévouement aux infortunes de son amie. Plus la reine tombait, plus la princesses s’attachait à sa chute. Elle mettait sa volupté dans le partage des revers. Pétion lui avait accordé de suivre sa royale amie au Temple. La commune, plus implacable, l’avait envoyé prendre dans les bras de la reine et l’avait jetée à la Force. Le beau-père de madame de Lamballe, le duc de Penthièvre, l’adorait comme sa propre fille.