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tremper ses lèvres et n’ouvre passage aux prisonniers qu’à ce prix. Les assassins eux-mêmes laissèrent plusieurs fois leur sanglant ouvrage et se lavèrent les pieds et les mains pour aller remettre à leurs familles les personnes acquittées par le tribunal. Ces hommes refusèrent tout salaire. « La nation nous paye pour tuer, disaient-ils, mais non pour sauver. » Après avoir remis un père à sa fille, un fils à sa mère, ils essuyaient leurs larmes d’attendrissement pour aller recommencer à égorger. Jamais massacre n’eut plus l’apparence d’une tâche commandée. L’assassinat, pendant ces jours, était devenu un métier de plus dans Paris.


XIV

Tandis que les tombereaux commandés par les agents du comité de surveillance charriaient les cadavres et le sang de l’Abbaye, trente égorgeurs épiaient depuis le matin les portes des Carmes de la rue de Vaugirard, attendant le signal. La prison des Carmes était l’ancien couvent, immense édifice percé de cloîtres, flanqué d’une église, entouré de cours, de jardins, de terrains vagues. On l’avait converti en prison pour les prêtres condamnés à la déportation. La gendarmerie et la garde nationale y fournissaient des postes. On avait, à dessein, affaibli ces postes le matin. Les assassins qui forcèrent les portes vers six heures du soir les refermèrent sur eux. Ceux qui commencèrent le massacre n’avaient rien du peuple, ni dans le