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rât l’assassinat comme un devoir pénible, dont il se reposait par quelques pardons ; soit plutôt que son orgueil jouît de dispenser ainsi la mort et la vie, il prodigua l’un et l’autre. Il exposa sa propre tête pour disputer des victimes à ses bourreaux. On murmurait souvent dans la cour contre sa parcimonie de meurtre. On criait à la trahison. Plusieurs fois les égorgeurs forcèrent, le sabre à la main, la porte du guichet, et menacèrent d’immoler le tribunal. Des citoyens étrangers aux victimes se dévouèrent pour sauver des hommes qu’ils ne connaissaient que de nom. L’horloger Monnot osa réclamer l’abbé Sicard et l’obtint au nom des misères du peuple, auxquelles l’instituteur des sourds-muets avait consacré sa vie. Des députations de sections tentèrent de pénétrer dans la prison pour réclamer des citoyens. Elles furent repoussées. Un poste de garde nationale occupait la voûte qui conduit de la place de l’Abbaye dans la cour. Ce poste avait ordre de laisser entrer, mais de ne pas laisser ressortir. On eût dit qu’il était placé là pour protéger l’assassinat. Un seul de ces députés osa franchir cette voûte. « Es-tu las de vivre ? » lui dirent les égorgeurs. On conduisit ce député à Maillard. Maillard lui fit remettre les deux prisonniers qu’il demandait. Le député traversa de nouveau la cour avec ses détenus. Des torches éclairaient des piles de cadavres et des lacs de sang. Les égorgeurs, assis sur ces restes comme des moissonneurs sur des gerbes, se reposaient, fumaient, mangeaient, buvaient tranquillement. « Veux-tu voir un cœur d’aristocrate ? lui dirent ces bouchers d’hommes ; tiens ! regarde ! » En disant ces mots, l’un d’eux fend le tronc d’un cadavre encore chaud, arrache le cœur, en exprime le sang dans un verre et le boit aux yeux de Bisson ; puis, lui présentant le verre, il le force d’y