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teur du roi, et l’abbé de Rastignac, écrivain religieux, enfermés ensemble à l’Abbaye, réunirent les prisonniers dans la chapelle. Là, du haut d’une tribune, ils les préparèrent à la mort. Ces deux prêtres touchaient à quatre-vingts ans. Leurs cheveux blancs, leur visage pâli par l’âge, macéré par la veille, divinisé par l’approche du martyre, donnaient à leurs gestes et à leurs paroles la solennité évangélique de l’éternité. Ils apparurent aux jeunes prisonniers comme les anges de l’agonie. Tous tombèrent à genoux. Ce rayon de religion sur un champ de sang leur fit sentir la présence d’une Providence jusque dans le supplice. Les uns furent fortifiés, les autres consolés, tous attendris. À peine les deux prêtres avaient-ils étendu leurs mains sur leurs compagnons, qu’on vint les appeler pour donner à la fois l’exemple et la leçon du martyre. Les mains jointes, l’esprit recueilli, les yeux levés au ciel, ils furent hachés de mille coups de sabre et tombèrent sans avoir cessé de prier.

Mais la résignation de ces deux vieillards n’avait pas enlevé l’horreur de l’expectative aux prisonniers. La nature n’en luttait pas moins en eux contre la mort. Ils discutaient entre eux sur l’attitude dans laquelle il fallait recevoir ou braver les coups pour rendre le trépas plus prompt et moins sensible. Les uns voulaient tendre la tête aux sabres pour qu’elle tombât d’un seul coup ; les autres se proposaient de découvrir leur poitrine et de tenir leurs mains derrière le dos pour que le fer frappât droit au cœur sans s’égarer ; les autres voulaient lutter jusqu’à la fin contre les bourreaux, embrasser les piques, écarter les sabres, renverser les égorgeurs, et changer le supplice en combat, pour mourir dans l’accès du courage et dans la joie de la vengeance. Non contents de cette théorie du supplice, les détenus allaient,