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un, leur massacre fut long ; le peuple, dont le vin, l’eau-de-vie mêlée de poudre, la vue et l’odeur du sang semblaient raffiner la rage, faisait durer le supplice comme s’il eût craint d’abréger le spectacle. La nuit entière suffit à peine à les immoler et à les dépouiller.

L’abbé Sicard et les deux prêtres réfugiés comme lui dans une petite chambre attenante au comité virent, entendirent et notèrent toutes les minutes de cette nuit. Une vieille porte percée de fentes les séparait de la scène du massacre. Ils distinguaient le bruit des pas, les coups de sabre sur les têtes, la chute des corps, les hurlements des bourreaux, les applaudissements de la populace, les voix même des amis qu’ils venaient de quitter, et les danses atroces des femmes et des enfants, aux lueurs des flambeaux et au chant de la Carmagnole, autour des cadavres. De moment en moment des députations d’égorgeurs venaient demander du vin au comité, qui leur en faisait distribuer. Des femmes apportèrent à manger à leurs maris au lever du jour, pour les soutenir, disaient-elles, dans leur rude travail : manœuvres de la mort abrutis par la misère, l’ignorance et la faim, pour qui tuer était gagner sa vie !

Les tombereaux commandés par la commune vidèrent, pendant ce repas, les cours des monceaux de cadavres qui les obstruaient. L’eau ne suffisait pas à laver. Les pieds glissaient dans le sang. Les assassins, avant de reprendre leur ouvrage, étendirent un lit de paille sur une partie de la cour. Ils couvrirent cette litière des vêtements des victimes. Ils décidèrent entre eux de ne plus tuer que sur ce matelas de paille et de laine, pour que le sang, bu par les habits, ne se répandît plus sur les pavés. Ils disposèrent des bancs autour de ce théâtre, pour qu’au retour de la lumière les