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salariés du crime mangeaient et buvaient comme l’ouvrier après sa tâche achevée. La tâche n’était qu’interrompue. La commune, officiellement avertie des massacres, avait envoyé Manuel, Billaud-Varennes et d’autres commissaires aux prisons, pour rejeter du moins la responsabilité du crime et pour témoigner de quelques efforts tentés contre ces assassinats. Ces harangues, intimidées par l’attitude des meurtriers et par les armes teintes de sang, ressemblaient plus à des adulations qu’à des reproches. On y sentait la connivence ou la peur. Le peuple les interprétait comme des encouragements. Quelques-unes même étaient des félicitations et des provocations de nouveaux meurtres. « Braves citoyens, dit Billaud-Varennes dans la cour de l’Abbaye, vous venez d’égorger de grands coupables ; la municipalité ne sait comment s’acquitter envers vous. Sans doute les dépouilles de ces scélérats appartiennent à ceux qui nous en ont délivrés. Sans croire vous récompenser, je suis chargé d’offrir à chacun de vous vingt-quatre livres, qui vont vous être payées sur-le-champ. »

Pendant que Billaud-Varennes parlait ainsi, le massacre, un moment suspendu, recommençait sous ses yeux. Le vieux commandant de la gendarmerie, Rulhières, déjà percé de cinq coups de pique, dépouillé et laissé pour mort, courait nu et sanglant autour de la cour, les mains en avant, cherchant à tâtons les murs, tombait de nouveau et se relevait encore, dans la lutte de l’agonie. Cette fuite sans issue dura dix minutes !

Après les Suisses, on jugea en masse tous les gardes du roi emprisonnés à l’Abbaye. Leur crime était leur fidélité au 10 août. Il n’y avait pas de procès. C’étaient des vaincus. On se borna à leur demander leurs noms. Livrés un à