Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 11.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La porte s’ouvre. Il lance son chapeau derrière lui en criant adieu à ses camarades, et franchit le seuil. Sa beauté, sa résolution, frappent de stupeur les assassins. Ils s’écartent en haie. Ils le laissent s’avancer jusqu’au milieu de la cour. Mais, revenant bientôt de leur surprise, ils forment, en se rapprochant, un cercle de sabres, de piques et de baïonnettes dirigés contre lui. Il fait deux pas en arrière, promène tranquillement ses regards sur ses assassins, croise ses bras sur sa poitrine, reste un moment immobile comme attendant le coup, puis, voyant que tout est prêt, il s’élance de lui-même la tête en avant sur les baïonnettes et tombe percé de mille coups. Sa mort entraîne celle de ses cent cinquante camarades. Ils tombent les uns après les autres sur le pavé comme des taureaux assommés. Les tombereaux ne suffisent pas à déblayer assez vite les corps : on les empile des deux côtés de la cour pour faire place à ceux qui doivent mourir. Le baron de Reding mourut le dernier. Ce jeune officier était remarqué, par l’élévation de sa stature et par l’expression mâle de ses traits, dans cette race d’enfants des montagnes, où la nature fait tout plus grand et plus beau.

Blessé aux Tuileries, Reding avait une épaule et une cuisse cassées par les balles. On l’avait transporté du champ de bataille à l’Abbaye. Jeté sur un grabat dans un coin sombre de la chapelle, le moindre mouvement disloquait ses membres fracturés et lui arrachait des gémissements. Une femme qui l’aimait avait obtenu à prix d’or des commissaires des prisons la permission de venir le soigner. Déguisée en garde-malade des hôpitaux, elle passait les journées entières auprès du lit de Reding. Bien que reconnue par plusieurs, tous affectaient de se tromper à son dé-