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IX

Le massacre commença par les Suisses. Il y en avait cent cinquante à l’Abbaye, officiers ou soldats. Maillard les fit amener dans le guichet et les jugea en masse. « Vous avez assassiné le peuple au 10 août, leur dit-il ; le peuple demande vengeance. Vous allez être transportés à la Force. — Grâce ! grâce ! s’écrient les soldats en tombant à genoux. — Il ne s’agit pas de mourir, leur répond Maillard, il ne s’agit que de vous transférer dans une autre prison. Peut-être ailleurs vous fera-t-on grâce. » Mais les Suisses avaient entendu les cris qui demandaient leurs vies. « Pourquoi nous tromper ? disent-ils, nous savons bien que nous ne sortirons d’ici que pour aller à la mort ! » À ces mots, un Marseillais et un garçon boucher entr’ouvrent la porte, et, indiquant d’un doigt tendu les Suisses : « Allons, allons ! décidez-vous ! Marchons ! Le peuple s’impatiente ! » Les Suisses reculent comme un troupeau à l’aspect de l’abattoir, et se groupent en masse dans le fond du guichet, en poussant des lamentations déchirantes et en se cramponnant les uns aux autres. « Il faut que cela finisse ; dit un des juges. Voyons, quel est celui qui sortira le premier ? — Eh bien, ce sera moi, s’écrie un jeune sous-officier d’une taille élevée, d’un front calme, d’une attitude martiale. Je vais donner l’exemple. Montrez-moi la porte. Par où faut-il aller ? »