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des Jacobins pour lui, avaient prévenu Louis XVI contre son nouveau ministre. Le ministre, de son côté, s’attendait à trouver dans le roi un esprit rebelle à la constitution, un cœur aigri par les outrages du peuple, un esprit borné par la routine, un caractère violent, un extérieur brusque, une parole impérieuse et blessante pour ceux qui l’approchaient. C’était le portrait travesti de cet infortuné prince. Pour le faire haïr de la nation, il fallait le défigurer.

Dumouriez trouva en lui ce jour-là, et durant les trois mois de son ministère, un esprit juste, un cœur ouvert à tous les sentiments bienveillants, une politesse affectueuse, une longanimité et une patience qui défiaient les calamités de sa situation. Seulement une timidité extrême, résultat de la longue retraite où Louis XV avait séquestré la jeunesse de ce prince, comprimait les élans de son cœur, et donnait à son langage et à ses rapports avec les hommes une sécheresse et un embarras qui lui enlevaient la grâce de ses qualités. D’un courage réfléchi et impassible, il parla souvent à Dumouriez de sa mort comme d’un événement probable et fatal, dont la perspective n’altérait point sa sérénité et ne l’empêcherait pas d’accomplir jusqu’au terme son devoir de père et de roi.

« Sire, lui dit Dumouriez en l’abordant avec cet attendrissement chevaleresque que la compassion ajoute au respect, et avec cette physionomie où le cœur parle plus que le langage lui-même, vous êtes revenu des préventions qu’on vous avait données contre moi. Vous m’avez fait ordonner par M. de Laporte d’accepter le poste que j’avais refusé. — Oui, dit le roi. — Eh bien, je viens me dévouer tout entier à votre service, à votre salut. Mais le rôle de ministre n’est plus le même qu’autrefois. Sans cesser d’être le servi-