Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 10.djvu/89

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


IX

Roland, trop heureux d’être au pouvoir, n’entrevoyait pas de si loin la disgrâce ; il rassurait sa femme et se fiait de plus en plus à la feinte admiration de Dumouriez pour lui. Il se croyait l’homme d’État du conseil. Sa vanité satisfaite le rendait crédule aux avances de Dumouriez, et l’attendrissait même pour le roi. À son entrée au ministère, Roland avait affecté sous son costume l’âpreté de ses principes, et dans ses manières la rudesse de son républicanisme. Il s’était présenté aux Tuileries en habit noir, en chapeau rond, en souliers sans boucles et tachés de poussière ; il voulait montrer en lui l’homme du peuple entrant au palais dans le simple habit du citoyen et affrontant l’homme du trône. Cette insolence muette devait, selon lui, flatter la nation et humilier le roi ; les courtisans s’en étaient indignés, le roi en avait gémi, Dumouriez en avait ri. « Ah ! tout est perdu, en effet, messieurs ! avait-il dit aux courtisans ; puisqu’il n’y a plus d’étiquette, il n’y a plus de monarchie ! » Cette plaisanterie avait emporté à la fois toute la colère de la cour et tout l’effet de la prétention lacédémonienne de Roland.

Le roi ne s’apercevait plus de l’inconvenance, et traitait Roland avec cette cordialité qui lui ouvrait les cœurs. Les nouveaux ministres s’étonnaient de se sentir confiants et émus en présence du monarque. Entrés ombrageux et ré-