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tions. Mais madame Roland avait contre les séductions de l’homme de guerre un préservatif que Dumouriez n’était pas accoutumé à rencontrer dans les femmes qu’il avait aimées : une vertu austère et une conviction forte. Il n’y avait qu’un moyen de capter l’admiration de madame Roland, c’était de la surpasser en dévouement patriotique. Ces deux caractères ne pouvaient se rencontrer sans se faire contraste ni se comprendre sans se mépriser. Pour Dumouriez, madame Roland ne fut bientôt qu’une fanatique revêche ; pour madame Roland, Dumouriez ne fut plus tard qu’un homme léger et présomptueux ; elle lui trouvait dans le regard, dans le sourire et dans le ton une audace de succès envers son sexe qui trahissait les mœurs libres des femmes au milieu desquelles il avait vécu et qui offensait son austérité. Il y avait plus du courtisan que du patriote dans Dumouriez. Cette aristocratie française des manières déplaisait à l’humble fille du graveur ; elle lui rappelait peut-être sa condition inférieure et les humiliations de son enfance à Versailles. Son idéal n’était pas le militaire, c’était le citoyen ; une âme républicaine était la seule séduction qui pût conquérir son amour. De plus, elle s’aperçut, dès le premier coup d’œil, que cet homme était trop ambitieux pour passer longtemps sous le niveau de son parti ; elle soupçonna son génie sous ses complaisances, et son ambition sous sa bonhomie. « Prends garde à cet homme, dit-elle à son mari après la première entrevue ; il pourrait bien cacher un maître sous un collègue, et chasser du conseil ceux qui l’y ont introduit. »