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II

L’histoire doit s’arrêter un moment devant cet homme, qui, sans avoir pris le nom de dictateur, résuma pendant deux ans en lui seul la France expirante, et exerça sur son pays la plus incontestée des dictatures : la dictature de son génie. Dumouriez est du nombre de ces hommes qu’on ne dépeint pas seulement en les nommant, mais dont les antécédents expliquent la nature, qui ont dans le passé le secret de leur avenir, qui ont, comme Mirabeau, leur existence répandue dans deux époques, qui ont leurs racines dans deux sols, et qu’on ne connaît qu’en les détaillant.

Dumouriez, fils d’un commissaire des guerres, était né à Cambrai en 1739 ; quoique sa famille habitât le nord de la France, son sang était méridional. Sa famille, originaire d’Aix en Provence, se retrouvait tout entière dans la lumière, dans la chaleur et dans la sensibilité de sa nature ; on y sentait le ciel qui avait fécondé le génie de Mirabeau. Son père, militaire et lettré, l’éleva à la fois pour les lettres et pour la guerre. Un de ses oncles, employé au ministère des affaires étrangères, le façonna de bonne heure à la diplomatie. Esprit puissant et souple à la fois, il se prêtait également à tout ; aussi propre à l’action qu’à la pensée, il passait de l’une à l’autre avec complaisance, selon les phases de sa destinée. On sentait en lui la flexibilité du génie grec dans les temps mobiles de la démocratie d’Athènes.