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montrait insuffisant ou rebelle à leurs projets, ils le briseraient sans crainte et l’écraseraient sans pitié. Brissot, l’oracle diplomatique de la Gironde, était évidemment le ministre définitif qui devait gouverner un jour les relations étrangères, et qui en attendant gouvernerait d’avance sous le nom de Dumouriez.

Les Girondins avaient découvert Dumouriez dans l’obscurité d’une existence jusque-là subalterne, par l’intermédiaire de Gensonné. Gensonné avait eu Dumouriez pour collègue dans la mission que l’Assemblée constituante lui avait donnée d’aller examiner la situation des départements de l’Ouest, agités déjà par le pressentiment sourd de la guerre civile et par les premiers troubles religieux. Pendant cette mission, qui avait duré plusieurs mois, les deux commissaires avaient eu de fréquentes occasions d’échanger leurs pensées les plus intimes sur les grands événements qui agitaient en ce moment les esprits. Leurs cœurs s’étaient pénétrés. Gensonné avait reconnu avec tact dans son collègue un de ces génies retardés par les circonstances et voilés par l’obscurité de leur sort, qu’il suffit d’exposer au grand jour de l’action publique pour les faire briller de tout l’éclat dont la nature et l’étude les ont doués ; il avait senti de près aussi dans cette âme ce ressort de caractère assez fort pour porter l’action d’une révolution, assez élastique pour se plier à toutes les difficultés des affaires. En un mot, Dumouriez avait, au premier contact, exercé sur Gensonné cette séduction, cet ascendant, cet empire que la supériorité qui se dévoile et qui s’abaisse ne manque jamais d’exercer sur les esprits auxquels elle daigne se révéler.

Cette séduction, sorte de confidence du génie, était un des caractères de Dumouriez. C’est par elle qu’il conquit