Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 10.djvu/6

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


II

Le gouvernement, impuissant et désarmé, était rendu responsable des sévérités de la nature. Des émissaires occultes, des bandes armées parcouraient les villes et les bourgs où se tenaient les marchés, y semaient les bruits alarmants, y provoquaient le peuple à taxer le grain et les farines, y désignaient les marchands de blé sous le nom d’accapareurs : l’accusation perfide d’accaparement était un arrêt de mort. La crainte d’être accusé d’affamer le peuple arrêtait toute spéculation de commerce et contribuait bien plus qu’une pénurie réelle à la disette sur les marchés. Il n’y a rien de si rare qu’une denrée qui se cache. Les magasins de blé étaient des crimes aux yeux des consommateurs de pain. Le maire d’Étampes, Simoneau, homme intègre et magistrat intrépide, fut une victime sacrifiée au soupçon du peuple. Étampes était un des grands marchés d’approvisionnement de Paris. Il importait plus qu’ailleurs d’y conserver la liberté du commerce et l’affluence des farines. Un attroupement, composé d’hommes et de femmes de villages voisins rassemblés au son du tocsin, marche sur la ville un jour de marché, précédé de tambours, armé de fusils et de fourches, pour taxer les grains, les enlever de force aux propriétaires, se les partager et exterminer, disaient-ils, les accapareurs, parmi lesquels des voix sinistres mêlaient tout bas le nom de Simoneau. La garde natio-