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tous les appuis qui pouvaient affermir sa minorité. Il prépara le passage d’un règne à l’autre, il arrangea sa mort pour qu’elle ne fût un événement que pour lui seul. « Mon fils, écrivait-il quelques heures avant d’expirer, ne sera majeur qu’à dix-huit ans, mais j’espère qu’il sera roi à seize. » Il présageait ainsi à son successeur la précocité de courage et de génie qui l’avait fait régner lui-même et gouverner avant le temps. Il dit à son grand aumônier en se confessant : « Je ne crois pas porter de grands mérites devant Dieu, mais j’emporte du moins la conscience de n’avoir volontairement fait de mal à personne. » Puis ayant demandé un moment de repos pour reprendre des forces avant d’embrasser pour la dernière fois sa famille, il dit adieu en souriant à son ami Bergenstiern, et s’étant endormi, il ne se réveilla plus.

Le prince royal, proclamé roi, monta le même jour sur le trône. Le peuple, que Gustave avait affranchi du joug du sénat, jura spontanément de défendre ses institutions dans son fils. Il avait si bien employé les jours que Dieu lui avait laissés entre l’assassinat et la mort, que rien ne périt de lui que lui-même, et que son ombre parut continuer de régner sur les Suédois.

Ce prince n’avait de grand que l’âme, et de beau que les yeux. Petit de taille, les épaules fortes, les hanches mal attachées, le front bizarrement modelé, le nez long, la bouche large ; mais la grâce et la vivacité de sa physionomie couvraient toutes ces imperfections de la forme et faisaient de Gustave un des hommes les plus séduisants de son royaume ; l’intelligence, la bonté, le courage, ruisselaient de ses yeux sur ses traits. On sentait l’homme, on admirait le roi, on devinait le héros ; il y avait du cœur