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de la douleur ; les peuples ne veulent rien voir de naturel dans les événements qui ont une si immense portée sur leur destinée. Mais les crimes collectifs sont rares ; les opinions désirent des crimes, elles ne les commettent pas. Nul n’accepte pour tous l’exécration d’un forfait qui ne profite qu’à son parti. Le crime est personnel comme l’ambition ou comme la vengeance ; il n’y avait ni ambition ni vengeance autour de Léopold, il n’y avait que quelques jalousies de femmes. Ses attachements mêmes étaient trop multipliés et trop fugitifs pour allumer dans l’âme de ses maîtresses une de ces passions qui s’arment du poison ou du poignard. Il aimait à la fois donna Livia, qu’il avait amenée avec lui de Toscane, et qui était connue de l’Europe sous le nom de la belle Italienne ; la Prokache, jeune Polonaise ; la charmante comtesse de Walkenstein, d’autres encore d’un rang inférieur. La comtesse de Walkenstein était depuis quelque temps sa maîtresse déclarée ; il venait de lui donner un million en obligations de la banque de Vienne ; il l’avait même présentée à l’impératrice, qui lui pardonnait ses faiblesses pourvu qu’il n’accordât pas sa confiance politique, que jusque-là il lui avait réservée. Il poussait la passion des femmes jusqu’au délire ; il faudrait remonter jusqu’aux époques les plus honteuses de l’empire romain pour trouver dans la cour des empereurs des scandales comparables à ceux de sa vie. On trouva dans son cabinet, après sa mort, une collection d’étoffes précieuses, de bagues, d’éventails, de bijoux, et même jusqu’à cent livres de fard superfin. Les traces de ses débauches firent rougir l’impératrice lorsqu’elle en fit l’inventaire en présence du nouvel empereur. « Mon fils, lui dit-elle, vous avez devant vous la triste preuve des désordres de votre père et de mes longues afflic-